Les matins de Guillaume
Erner . France Culture. 23 décembre.
La
séquence politique que nous venons de vivre autour de la loi immigration a mis
en lumière une anomalie dans le fonctionnement de nos
institutions. L’Assemblée nationale n’a quasiment pas participé au
processus législatif. Elle a été tenue à l’écart de la fabrication de la loi.
C’est inédit sous la Ve République. C’est elle, la chambre
basse, en théorie, qui est au centre du jeu. Car les députés ont cet
avantage sur les sénateurs qu’en cas de désaccord persistant entre les deux
chambres au terme de la navette parlementaire, ils ont en principe le dernier
mot. C’est à eux que le gouvernement confie un projet de loi en dernière
lecture et demande de trancher.
Or, au cours de deux
dernières semaines, cette mécanique institutionnelle n’a pas été respectée, l’assemblée
nationale s’est retrouvée comme effacée, gommée du processus de confection de
la loi et il est à craindre que ce ne soit pas un accident.
Tout a commencé le lundi
11 décembre avec l’adoption par les députés d’une motion de rejet de la loi
immigration, bloquant ainsi l’examen du texte à l’assemblée.
Face à cette situation le
pouvoir exécutif n’a pas relancé la navette parlementaire pour ne pas s’exposer
au risque d’une nouvelle motion de rejet préalable. Il a décidé ainsi que l’autorise
la procédure accélérée de réunir une commission mixte paritaire (CMP) c’est une
commission de conciliation qui réunit 7 députés et 7 sénateurs, lesquels
essaient de trouver un compromis entre les textes de lois produits par chaque
assemblée. La difficulté est que les députés n’avaient pas de texte à défendre,
l’assemblée nationale n’ayant pas examiné la loi.
Et puis une
seconde difficulté est apparue, quand Emmanuel Macron a décidé qu’il n’y aurait
pas de 49.3 sur ce texte de loi. En faisant cela, il a exclu
de renvoyer le texte en dernière lecture à l’assemblée où le gouvernement
aurait pu forcer son adoption en usant du 49.3. Dans le même temps, par un
effet collatéral, le chef de l’état a retiré aux députés la primauté dont ils
disposent habituellement sur les sénateurs en commission mixte paritaire. Habituellement,
les députés peuvent dire aux sénateurs, si vous ne voulez pas trouver d’accord
tant pis, le texte sera renvoyé en dernière lecture à l’assemblée et c’est nous
qui trancherons. Bien souvent, ça facilite la conciliation. Là, ce n’était
pad le cas, les députés n’avaient pas de texte de loi à défendre, pas de moyen
de pression, ils n’avaient par conséquent pas voix au chapitre et aucun pouvoir
de négociation.
-
Et tout s’est donc négocié en dehors de la commission mixte
paritaire.
-
Les négociations se sont déroulées en dehors de la CMP
effectivement, directement entre les sénateurs et le gouvernement plus
précisément entre la droite sénatoriale et le gouvernement. C’est ainsi qu’on
a assisté à tout un tas de réunions préalables autour de la première ministre à
Matignon. Puis quand la commission mixte paritaire a officiellement lancé
les discussions se sont enchaînées les suspensions de séances parce qu’il
fallait prendre l’avis du gouvernement. Les députés ont été relégués dans
cette affaire au rang d’intermédiaire.
Et ce n’est
pas tout puisqu’après que la loi fut adoptée, avant-hier soir, le président a
considéré que certaines dispositions ne lui plaisaient pas beaucoup ou qu’elles
lui paraissaient inconstitutionnelles, il allait saisir le conseil
constitutionnel afin qu’il toilette cette loi fraichement votée. Il l’a confirmé
hier soir au cours de l’émission « C’est à vous » à laquelle il
participait sur France 5. Autrement dit, il a décidé de faire faire par le
conseil constitutionnel une partie du travail que n’a pas fait le parlement et
que n’a pas fait en particulier l’assemblée nationale.
-
Tout cela dénote un dysfonctionnement structurel selon vous.
-
Oui, avec l’exécutif qui fabrique la loi en se passant de l’assemblée
nationale, dans un dialogue exclusif avec le sénat, alors qu’en théorie c’est
devant les députés que le gouvernement est susceptible d’engager sa responsabilité.
Vous voyez à quel point c’est incohérent. Le résultat est que la loi est mal
faite. Le gouvernement d’ailleurs reconnait avoir fait voter des dispositions
inconstitutionnelles.
- Par ailleurs ça génère du découragement chez les députés, de l’instabilité car la majorité est divisée, le doute s’installe chez beaucoup à l’assemblée comme au gouvernement. Cette situation va encore perdurer. Tout ça est le fruit des élections législatives en 2022 qi n’ont pas donné de majorité au président réélu. La cinquième république n’est pas faite pour ce cas de figure. Elle donne le pouvoir à un homme élu au suffrage universel et l’assemblée nationale est son bras armé, et le moyen dont il dispose pour exercer le pouvoir qui lui est confié. S’il n'a pas de majorité son pouvoir est entravé, ça dysfonctionne. Et c’est ça que génère les grands bouleversements auxquels on assiste depuis quelques années, avec la tripartition du paysage politique, une absence de majorité, un dysfonctionnement et une fragilisation des équilibres institutionnels de la 5ème république.
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Stéphane Robert France Culture – 21 décembre 2023.
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